Née en 1995 à Belleville, la marque Cumpaz profite pleinement de l’essor du streetwear jusqu’au début des années 2000. Cumpaz revient avec sa nouvelle collection et un nouveau site Internet. Retour sur les 22 premières années d’existence de cette marque avec *H, un des membres fondateur.
Cumpaz a été créé en 1995 par une équipe de graffeurs, tu peux nous raconter l’origine de la marque, et pourquoi vous avez voulu faire votre marque ?
La rencontre s’est effectuée à Belleville, par l’intermédiaire d’une grande amie commune, un peu avant 95. La dynamique se met vraiment en marche juste après. Samisan avait deux-trois ans de plus que moi. Donc s’entrechoquent la grande gueule et le timide, les tatouages et la sobriété, le punk et le rap. Un Libanouche et un Chilien, tous deux Français. Arrive après Misha… on était tous d’horizons, de cultures et de vécus différents. Tous attirés par la musique, la photo, le cinéma, tous réunis par des expériences de rue… Punk, ancien chasseur, Samisan supervisait, il avait une vision très pragmatique, y compris dans l’approche du graphisme… Misha, plus artistique, graffeur, et enfin moi (Helios) dessin, graf. On s’essaie sur des sweat-shirts à capuches pour une team de boxe thaï, avec des logos créés par nos soins, ça plaît… Xavier, mon frangin, me sort le blase : cumpa (abréviation de compadre, ami en latino)… il ajoute le « z » pour le coté gueuta… on l’adopte et on enchaîne une série de t-shirts avec des à-plats sur la poitrine inspirés de films, on les vend dans les magasins en dépôt vente, ça plaît direct. Misha fait des allers- retours New-York/Paris, il en revient avec des vibes. C’est aussi une histoire d’époque, il y a effervescence, du 13e au 19e, Paname bouillonne… Samisan pousse tout le monde, il fait mûrir le projet en créant la boîte et le pôle graphisme pour gagner des sous… rencontre de Souhil (Alariana, Mafia K’1fry) donc pochettes d’albums, flyers, affiches, sites internets pour des clients et de l’autre côté vente Cumpaz. L’envie profonde c’était de se rendre indépendant, de créer son gagne pain en forgeant son identité. On était pas un énième posse de graffeurs ou tel autre groupe de rock, on était Cumpaz.
L’envie profonde c’était de se rendre indépendant, de créer son gagne pain en forgeant son identité.
Le streetwear et le marché du textile a beaucoup évolué depuis la création de la marque (notamment avec Internet), comment on s’adapte à ce changement radical ?
Dans l’équipe on avait un pote (Thieum) qui a vécu les prémices et le développement du net au Canada puis en France, on en a donc bénéficié. Grâce a lui on a eu un site rapidement, les habitudes de consommation ne s’étaient pas encore à ce point transformées. Donc je vais te dire que c’est plutôt l’inverse qu’on a vécu, on était finalement en place avant les français. Tu vendais d’avantage par les coupons que les gens découpaient sur nos pages de pub dans les magazines que par le net. Après quand c’est réellement rentré dans les mœurs, “it’s the same old story” : le capital s’adapte et bouffe tout microcosme. Si on y cogite deux secondes, les dents longues du business ne laissent rien passer. Internet avait à ses commencements des velléités de liberté, mais qui dépendait de la téléphonie et canaux de distribution. Au final je ne sais pas si quelque chose remplace l’essayage des sapes que t’as envie d’acheter, à moins de connaître les coupes.
L’équipe à l’origine de la marque est elle toujours aux commandes ? ou ont ils passé la main ?
Là dessus on est resté droit en fait… certains sont entrés dans notre “maison” et en sont repartis. Le noyau dur est le même. Même quand on a signé en licence, Samisan ne lâchait rien. Ce n’est pas qu’une image, pour ma part, je suis forgé par mes frangins, par l’expérience de vie, de création, de fight. On est liés. On était pas beaucoup, on reste peu, les mêmes.
Rester indé, dans le textile, ça implique quoi concrètement ? Par rapport aux marques qui font parti de gros groupes…
Tout d’abord on l’est resté puis on a signé en licence en restant maîtres à bord. Les seuls à ma connaissance qui le sont restés, et encore à ce jour, c’est la marque Wrung. Nous concernant, la condition sine qua non, c était de tout maitriser, on allait jusqu’à contrôler les prods, en fait.
D’un point de vue global, on parle du rattrapage financier, du capitalisme. Il englobe tout, il bouffe tout. Il ne reste que les niches et faut avoir les reins solides, la tête sur les épaules. les grands groupes sont peu, tentaculaires et ne travaillent pas pour les gens ou la culture mais pour le profit. tu les intéresses lorsque tu représentes une part de marché, que tu vends des slips, du poulet ou du street wear si c’est dans l’air du temps. Hier c’était la disco, aujourd’hui le rap, demain va savoir… Rester indé ça implique que de la sueur et des nuits blanches.
Les grands groupes (…) ne travaillent pas pour les gens ou la culture mais pour le profit. Tu les intéresses lorsque tu représentes une part de marché…
A part quelques modèles (et collaborations) on a l’impression (peut être à tort) que la marque et son image ont évolué en s’éloignant un peu du graffiti, qu’en est il ?
Le graffiti fait parti de nos vies, indéniablement, mais ça n’a jamais été la seule inspiration. On a appelé ça “street wear” et associé le tout au Hip-Hop, ce qui est un amalgame, Samisan écoutait Kortatu au bureau. Misha beaucoup de rap, et moi du jazz. On m’a d’abord fusillé lorsque j’ai produit un maxi électro, les gens n’ont pas compris. Tant pis. Au delà du graffiti, je pense qu’en fait Cumpaz c’était plus une histoire de débrouillardise, la culture du “do it yourself”. Au culot, Samisan déboulait, obtenait des photos avec des gars qui étaient d’horizons vraiment différents. Utiliser son savoir, même s’il n’est pas diplômé par le gouvernement pour mener a bien ton projet. Donc le graffiti aussi mais pas seulement.
La récupération de l’image “street” par la grande distribution (Monoprix par exemple) ou par des gens qui n’y connaissent pas grand chose, ça vous fait quoi ?
Les histoires de récupération d’image, de blase, d’ambiance ont toujours existé, de tout temps. Ça blesse lorsque t’es tellement dedans, que tu le vis, le respires. Ensuite, dès que ton idéalisme a essuyé quelques revers, tu t’aperçois que l’important est plutôt de transmettre ta passion. Mes gamins comme les tiens sont empreints de cette culture, pas vrai ? Ils graffent, je leur achète leurs bombes, mes parents applaudissent, alors que gamin ils ne me comprenaient pas. Satur, Shone et Creez nous sortent des pièces terribles, les Ckt retournent Paname. Moktarr mixe sur ses platines du vinyle. Je produis des t-shirts pour la marque de petiots et leurs potes. Il faut se dire que les graphistes aujourd’hui étudient le soit disant street art de mes genoux à l’université. Finalement si on cultive nos passions aujourd’hui encore, c’est qu’on est en vie comme nos racines et que le capital ne digérera pas tout.
En tant que marque, vous avez un droit de regard ou un contrôle sur les conditions dans lesquelles sont produits vos vêtements ?
Condition sine qua non : les échantillons sont précieux, rien ne sort sans notre consentement. Samisan et Misha me rendaient ouf la dessus. Rien ne sortait s’ils ne l’avaient pas contrôlé au préalable. Il y a eu plusieurs phases dans la production, entre la France, le Portugal, la Tunisie et l’Asie. Mais, sans se mentir, quand tu reviens de Chine, en 2004, avec des sacs blindés d’échantillons bloqués en douane le jour de l’ouverture du Who’s Next (salon du prêt à porter NDLR), les conditions de travail des ouvriers asiatiques te passent par-dessus la tête, c est horrible.
Les projets pour la rentrée 2017 ? Et pour la suite ?
On a repris nos basiques, on chiade certains détails et on travaille sur la vidéo. Donc la suite logique pour nous, c’est de consolider notre base, s’ouvrir avec des collaborations : Lilthugs (le débardeur Tupac), la musique avec Maître Madj (la mixtape Rap is Rock n’Roll), l’édition avec les magazines International Hip-hop et Paris Tonkar, l’édition avec les frangins de Bboykonsian (www.bboykonsian.com)…
La marque a 22 ans, est ce qu’elle sera encore là et sous quelle forme dans 20 ans ?
La suite c’est nos gamins, la relève s’est déjà élevée. Donc oui, entre sapes, films et peintures… Samisan pousse la réflexion et la pratique d’arts martiaux, c’est un état d’esprit qu’il cultive depuis longtime, donc sa façon de penser a empreint la marque, la marque suit son parcours et ses entrainements… Et de mon côté, je ne me vois pas arrêter de dessiner en fait, après la vie dira.
Le mot de la fin ?
Merci à toi, tout d’abord, à nos précieuses familles. Continuons à créer, c’est vital, cultivons nos passions.
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